Les « religions du Livre » I – les Péchés

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Si mes premiers romans destinés aux enfants se sont beaucoup inspirés des mythologies du monde, notamment pour éviter tout clivage, ceux réservés aux adolescents et aux adultes peuvent évoquer sans prendre parti et entre gens de bonne intelligence les religions monothéistes.

Au programme du jour : les Sept Péchés Capitaux de la chrétienté. Passés de l’art classique à la littérature moderne (séries, romans, mangas), ils ont aussi rejoint mon univers. Ils ont été rapidement esquissés dans la réédition des Gardiens et auront une part plus active dans les Sept Reliques, en cours d’écriture.

Leur nom est pompeux mais ces péchés sont dits « capitaux » (du latin caput : « la tête ») parce qu’ils sont susceptibles d’en générer d’autres dans la foulée. Ils sont pourtant pardonnables, contrairement aux entorses aux Dix Commandements qui sont des « péchés mortels » entraînant le rejet par Dieu.

La Gourmandise

Le glouton consomme en excès. La nourriture certes (initialement c’était péché que de manger trop, ou trop vite, ou trop cher, ou d’y prendre trop de plaisir) mais dans un sens moderne cela concerne également les biens (souvent à courte durée de vie) et les services (ex : télévision). De ce fait, certains auteurs de l’ère industrielle y voient au contraire une vertu ! Quel que soit son intérêt, le glouton se montre dépensier et ne cherche qu’à assouvir ses besoins immédiats sans se projeter dans l’après, sa satisfaction est d’ailleurs très temporaire. Ce péché s’oppose à la tempérance, l’un des principaux commandements de la religion.

L’Avarice

Ce péché se décompose en deux points : la cupidité et l’égoïsme. On y retrouve le besoin d’amasser des ressources, mais plutôt des valeurs sûres, typiquement de l’argent. Cela peut aussi concerner le pouvoir exercé sur son entourage, en montant dans la hiérarchie. L’avide va devenir riche et puissant, même si les autres en souffrent, et faire étalage de son statut. Et surtout, au contraire du précédent, le pingre ne dépense pas la fortune accumulée. Il serait capable de se priver dans l’immédiat pour espérer ne manquer de rien plus tard. À force de voir toujours plus loin, il courra après la satisfaction sans jamais l’atteindre. Qu’on l’appelle Picsou, Harpagon ou Scrooge, il est l’antithèse de la charité. Des sociologues transposent l’avarice, en contexte moderne, à notre jugement biaisé face aux intox et au complotisme.

La Colère

Le colérique peut démarrer très vite face à la provocation, pour se calmer tout aussi rapidement. C’est une définition biologique de la colère comme état intense mais passager. Pourtant, il en est qui n’explosent pas à tout bout de champ et, sous couvert d’une grande maîtrise d’eux, cachent une ire sourde et permanente, dangereuse pour eux et pour autrui. Dans les deux cas, sous le signe de la Colère, chaque action ou parole est empreinte de violence. La religion l’oppose à une vertu floue nommée « force d’âme » (qui serait synonyme de courage). D’un point de vue sociologique, la colère est assez positive car elle répond à une iniquité ou au moins à un sentiment d’injustice (insurrection, grèves…) et tente d’y mettre fin. Nous, les Français, sommes particulièrement doués pour épancher notre mécontentement via les manifestations.

L’Envie

Le pire, à mon sens. L’envieux va clamer être comblé et dénigrer autrui pour masquer qu’il est, en vérité, dévoré par la convoitise. Il voudra toujours être ce que les autres sont ou avoir ce qu’ils ont, sans parvenir à assouvir son manque (même après avoir obtenu ce qu’il briguait). Pour être apaisé, il devrait admettre qu’il est bien comme il est. Quand le bonheur de ses voisins lui est insoutenable, il sèmera la zizanie ou la diffamation pour l’entacher. L’envie peut entraîner la jalousie, autrement dit une réaction violente pour préserver ses acquis. Mais avant tout, en partie à cause de son attitude, l’envieux est très seul. Ce qu’il désire en réalité est d’avoir quelqu’un qui le comprenne. En psychologie, certains cantonnent l’Envie aux pulsions de mort théorisées par Freud, mais une approche évolutionniste la classe comme un sentiment neutre et donc capable de bien tourner, lorsqu’il s’agit d’un élan créateur se rattachant à la curiosité.

La Paresse

À l’origine, on parle là d’une paresse morale, quand l’âme n’est plus nourrie par la prière et la pénitence, lorsque les devoirs religieux sont négligés. Est aussi considérée l’apathie intellectuelle, celle des gens qui ne se posent aucune interrogation et ne réfléchissent pas à leur condition. Il faut pourtant mettre cela entre guillemets : ces pensées doivent être dans le Dogme. Les bonnes questions sont celles qui alimentent la piété, rappelant que l’Homme est faible et doit craindre Dieu. S’ouvrir aux sphères autre que la religion (santé, sciences, arts, etc.) devient alors de la Paresse. Ce péché s’oppose donc à la foi. L’ennui, la tristesse et le désespoir sont des formes mineures de Paresse. En psychologie, l’empathie et la partialité en sont également un signe, aussi surprenant que ce soit.

La Luxure

Ce n’est pas vraiment un péché, tant qu’il respecte ce maître-mot qu’est le consentement. En tout cas, il cause peu de tort à celui qui en est habité, plutôt aux cibles de sa passion. Un adepte de la luxure cherchera l’assouvissement de ses envies charnelles mais sera rarement égoïste, s’efforçant de combler autant ses partenaires. Certains cachent, derrière les manières d’un bouc en rut, une solitude affective à soulager (d’où le besoin d’être apprécié pour ses talents au lit). Sur le plan religieux, par contre, toute sexualité sortant des standards est pécher par Luxure. Ce péché, parfois décrit comme source de tous les autres, est aussi considéré en tant qu’aveuglement spirituel et fin de l’espoir envers l’avenir. Mais les sociétés « païennes » n’avaient pas ce tabou : cela demeure la principale raison pour laquelle la religion en place le fait paraître sous un jour très défavorable.

L’Orgueil

Bien sûr, l’être excessivement orgueilleux pensera que tout lui est dû et que tous les autres sont des inférieurs devant admettre son talent. Toutefois, il les traitera avec pitié et condescendance plutôt qu’avec un mépris violent, pouvant même faire preuve de générosité envers les « démunis » (tant qu’on rentre dans son jeu). Il est diabolisé comme étant le pire des péchés quand il pousse les hommes et les anges à se comparer à Dieu ou qu’il abolit la gratitude (l’individu estime qu’il s’est fait lui-même, et non que ses qualités lui ont été octroyées par Dieu). C’est pourtant le plus appréciable selon moi car, après tout, un peu de fierté ne fait jamais de mal. En outre, quiconque a de l’amour-propre aura aussi un code d’honneur auquel il ne pourra pas faillir sans salir la vision « parfaite » qu’il a de lui-même.