Cliffhanger : l’éternel débat

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Le barbarisme cliffhanger (« celui qui est accroché à la falaise ») désigne une situation de grand suspense, par exemple au cœur d’une action ou juste après une révélation capitale, où le récit va pourtant prendre fin de manière brutale. Nous abandonnant avec un goût d’amertume et une vive impatience concernant la suite.

Les séries télévisées, américaines surtout, le font de plus en plus ; mauvaise idée quand elles n’ont pas l’assurance d’être reconduites, car cela laisse des scénarii incomplets. Les livres aussi ont cette tendance croissante. Et les réactions du public sont partagées.

Comme une majorité des gens, je déteste cela, pour une raison principale : ce n’est pas justifié. Il s’agit ni plus ni moins d’une prise en otage du lecteur/spectateur, nous « obligeant » à nous intéresser à la suite. Avec une série, passe encore, mais un livre… nous devons le payer. À noter aussi que cela marche si le contenu est déjà disponible : l’effet d’attente disparaît au bout de quelques jours, donc s’il faut patienter un an pour avoir la suite, le lecteur/spectateur ne gardera qu’un mauvais souvenir de l’œuvre et aura peu de chances d’acheter un tome ultérieur (là encore, pour les séries, cela fonctionne tout de même mieux).

Oui mais voilà : certains cliffhangers ne sont pas juste d’odieuses pratiques commerciales, ils obéissent à une structuration logique du scénario. C’est rare, mais c’est possible. J’ai lu il y a quelques mois La communauté des esprits de Philip Pullman (tome 2 de la Trilogie de la Poussière, à la fois antépisode et suite de À la croisée des mondes), qui s’interrompt de cette manière. Parce que le livre fait déjà plus de sept cents pages – assez difficiles à digérer, l’univers est très riche – et le dernier volume en fera au moins autant : il était irréalisable de publier toute l’histoire d’un bloc. Dès lors, même si l’attente m’a tenaillé un moment, je ne l’ai pas mal vécu.

Chaque tome devrait avoir son scénario propre (idem pour une saison de série), avec un début et une fin, y compris au sein d’une saga. Des étapes vers l’achèvement suprême. Nous sommes nombreux à le penser, résistant aux sirènes de la façon de faire étasunienne. J’ai toujours structuré mes récits de la sorte : trois quêtes indépendantes avec les mêmes personnages pour Les Chroniques des Gardiens. Trois quêtes au service d’un dessein plus grand, comme des poupées gigognes, pour Les Chroniques des Sang-Mêlé (ouvrir le temple, récupérer le parchemin, le décrypter). Et, pour Les Sept Reliques, autant de tomes que de continents : chaque volume débute avec l’arrivée dans un port et se clôture avec le départ d’un autre, et non pas à l’acquisition de la Relique.

Si vous avez lu L’odyssée de Salamandre, pourtant, vous l’aurez vu : en mon âme et conscience, et cela ne m’empêche pas de vous présenter mes excuses, j’ai choisi de faire un cliffhanger. Le seul dans mon œuvre littéraire à ce jour et probablement le seul tout court. Mais j’ai une explication à fournir (ne jetez pas encore vos tomates) ! En effet, ce roman et son deuxième volume fonctionnent ensemble. Les quêtes s’enchaînement, après une interruption symbolique, contrairement au tome 3 qui se déroulera quelques années plus tard.

Je ne pouvais m’arrêter avant, car alors Salamandre serait arrivée à Cape Town pour honorer son rendez-vous, mais vous n’en auriez pas su la raison. Et couper après aurait signifié terminer le livre avec dix pages d’explications sur le secret de ses origines, puis déballer toute la mission qui occupera le deuxième volet et justifie qu’on la fasse venir depuis l’autre bout du monde. Ce qui aurait aussi constitué un mini-cliffhanger en plus de vous prendre la tête. J’ai choisi de garder tout cela pour le volume suivant (qui sera plus épais), sous forme de flash-back pour délayer les informations, ne pouvant publier les deux tomes en un. J’espère donc que vous me pardonnerez et que vous découvrirez La quête de Salamandre le cœur léger, sans vous sentir « otages » !