Dans quelle mesure un personnage reste-t-il la création de son auteur ? Vaste question !
Car bien sûr, le lecteur va se le réapproprier et s’en faire une image un peu différente de celle qu’en avait l’écrivain, ou même de celle qu’en ont d’autres lecteurs. Mais déjà, au cours du processus de rédaction, il est fréquent qu’un protagoniste se soustraie à son créateur : l’enchaînement des situations l’amène à s’écarter du portrait théorique dressé pour lui. Je ne suis pas le seul à le ressentir : « Mon plus grand bonheur quand j’écris, c’est lorsque mes personnages m’échappent et n’en font qu’à leur tête », a avoué Katherine Pancol. C’est étrange dit comme cela et, pour ma part, je n’y croyais pas avant de le vivre à mon tour.
Prenons Robin, par exemple ! Son rôle dans le tome 1 des Chroniques des Gardiens (première version) est tout à fait minime, parce que je ne voyais pas ce que pouvait apporter ce personnage outre du comique via ses maladresses. Mais la mission qu’il effectue dans le tome 3 est ma préférée de ce volume, car entre temps le personnage a évolué spontanément au fur et à mesure que je l’utilisais et je lui ai « découvert » de nouveaux traits de caractère. La réécriture du tome 1 m’a offert l’occasion de lui donner un bon rôle là aussi.
C’est encore plus marquant dans les Chroniques des Sang-Mêlé. J’avais de grands projets pour Matt avant de commencer à écrire, mais je n’ai jamais su trouver de situations mettant son personnage en valeur et il est resté assez fade, mis à part la séquence où il sombre dans le « côté obscur » des Vertus… mais je n’en dévoile pas plus, il faudra lire le troisième livre ! À l’inverse, Eden reprenait le rôle de Robin, à la fois brute de décoffrage et maladroite. Mais je me suis attachée à elle : tout comme Robin, elle a un grand cœur, seulement elle le fuit et se réfugie sous une armure d’agressivité car c’est aussi une adolescente avec toutes les problématiques de cet âge. Elle s’est ainsi étoffée et s’est muée en l’un des personnages centraux de cette génération.
Le même schéma s’est reproduit avec la plupart des Sang-Mêlé : j’ai fait moins que prévu avec Julia et Ludwig mais plus avec Jennifer, Kendra et Wilhelm. Le meilleur exemple est celui de Jude et de Zoé : conçus pour être l’atout « mignon » de l’histoire (surtout Zoé), étant les plus jeunes et totalement dévoués l’un à l’autre, ils sont plutôt devenus les personnages les plus effrayants du groupe. Car malgré leur jeune âge, ce sont les plus puissants magiciens. Cela leur ouvre donc un large champ de possibilités mais ils n’ont pas la maturité pour s’en servir avec sagesse. Ce sont aussi les seuls à tuer sans scrupules des créatures « évoluées », à cause de l’influence de leur élément respectif (la Lumière étant dépourvue de pitié quand les Ténèbres ignorent le remords). Et difficile de s’attacher durablement à eux car, puisqu’ils ne vivent que l’un pour l’autre, ils ne cherchent à établir de liens ni avec le reste des personnages ou avec le lecteur. Certes, ils aiment leurs cousins et les défendent, mais sans plus.
Aventuriers des Sept Reliques, sachez que cet éternel schéma s’applique à Seth, que j’apprécie de plus en plus à chaque tome. J’arriverais sans doute à en faire quelque chose de grandiose d’ici la fin de l’histoire ! Considérant tout cela, répondez à ma question : les personnages n’ont-ils pas une part d’indépendance qui échappe à leur auteur ? Vous avez quatre heures ! 🙂