Les Sang-Mêlé terriens et la parentalité

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Être parent ne passe pas pour une tâche facile. Il faut faire de son mieux, selon une échelle de valeurs personnelle. Écrivant pour le tout public, je ne pars jamais dans des tropes familiaux dramatiques, les mêmes qui vont gonfler artificiellement d’autres livres avec des atermoiements à n’en plus finir. Ce qui ne m’empêche pas d’esquisser quelques conflits entre parents et enfants.

⚠️ Attention : spoiler sur le tome 2 ⚠️

Si vous avez terminé La quête de Salamandre, vous aurez vu que les neuf enfants du Feu sont maintenant réunis, tous ayant quitté ce qu’ils avaient auparavant pour suivre Salamandre et demeurer avec elle à la fin du voyage. Pour cela, ils ne devaient pas avoir de belles et heureuses familles, afin de minimiser leurs regrets. Le sort les ayant fait naître sur Terre ciblait, en priorité, les couples sans progéniture. Avec des ratés.

Léo a été abandonné vers 6-7 ans par sa mère, qui lui percevait clairement comme un poids. Et pour cause : c’est l’unique cas connu à ce jour (il y en aura un autre dans le tome 3) où la femme ayant reçu l’embryon était célibataire. Elle a dû se débrouiller seule avec son bébé puis son jeune garçon, mais une occasion en or s’est présentée et elle eut un choix à réaliser : se sacrifier pour son fils, ou le quitter pour se sauver elle-même. Il ne semble pas que ses hésitations aient pris longtemps. C’est toutefois le cas le plus violent, psychologiquement, des enfants du Feu.

Célia et Willka ont connu une autre forme d’abandon : on les a confiés à des temples. Au moins, ils n’étaient pas isolés, mais cela passe tout de même par un rejet. Célia faisait peur, à cause de ses pouvoirs. Et le père de Willka a agi par intérêt. Leurs parents sont encore vivants, a priori, mais c’est tout comme s’ils étaient décédés.

Un schéma similaire a affecté Manon, exclue par sa tribu qui en avait reçu l’ordre d’une entité indéterminée, mais le Peuple Naturel savait aussi qu’elle serait très rapidement prise en main par la Guilde du Serpent Ailé. Hélas, Manon n’a jamais connu les détails et en a conçu une vive rancœur. Enfin, Isaac a été embarqué de la même manière par une école militaire, mais c’était à l’initiative du Gardien du Feu (car ses parents de naissance, qui voulaient le conserver avec eux, étaient des gens potentiellement dangereux pour lui). Isaac ne semble pas en avoir souffert.

Sigrid et Tatsuya, eux, sont orphelins. La première a été adoptée aussitôt et a pu surmonter la perte de ses parents, elle était plutôt heureuse, mais son nouveau foyer l’a brusquement ostracisée en découvrant sa magie. Tatsuya, de son côté, est devenu un rôdeur en bas âge, vivotant le plus souvent des fruits de la nature, parfois volant ou travaillant.

Vient la situation problématique de Lysandra. Sa mère est bien en vie… et elle le regrette. Nous sommes dans un cas proche d’Isaac (sa famille est nocive), mais aucun prétexte n’a permis de l’en éloigner. Et, si la mégère a assassiné son époux, elle n’avait – jusqu’au moment de l’histoire – jamais menacé directement Lysandra. Il n’y a jamais eu beaucoup d’amour entre ces nobles et leur fille, et le lien a été facile à rompre dans ces circonstances.

Notons cependant que Manon et Tatsuya s’étaient reconstruit des attaches : la Guilde pour elle, Sakura pour lui. Ils ont été les plus peinés par le fait de quitter leur ancienne existence, et l’impulsion pour cela vient d’ailleurs de leurs soutiens (Manon a eu le temps de s’y préparer durant les trois mois de coupure, Sakura a obligé son ami à la laisser). J’ai pourtant choisi, comme annoncé en introduction, de ne pas sombrer dans le pathos à ce sujet.

Salamandre est la seule à disposer, il semblerait, d’une famille vivante et fonctionnelle. Encore que son père, sans lui vouloir du mal, lui a toujours manifesté une profonde indifférence. Ils n’ont jamais eu rien à se dire et il a accompli son rôle parce qu’il le devait, veillant à subvenir à ses besoins et lui offrant ponctuellement des cadeaux, mais sans s’impliquer émotionnellement. Car, lui, savait qu’elle n’était pas sa fille. Rien ne prouve que les choses eussent été différentes s’il avait cru à un lien génétique entre Salamandre et lui, bien sûr, mais c’est tout de même un beau gâchis. Cela n’a pas arrêté Gwenaëlle, qui avait porté ce bébé, mais le même rapport n’existait pas chez son mari. La faute lui en revient en partie, il était libre de son choix, mais aussi au Gardien du Feu qui a (malgré lui) trahi le secret. Au final, la figure masculine de référence a surtout été Briac, puisque Salamandre est en outre la seule Sang-Mêlé mise au monde par un couple ayant déjà eu un enfant.

Un lecteur a récemment souligné la facilité avec laquelle les enfants du Feu acceptent leur nouvelle famille, surtout un père qui a toujours été absent jusqu’alors. J’en ai fourni la principale raison plus haut (un roman tout-public, centré plutôt sur l’aventure et la culture générale que sur les intrigues larmoyantes) mais j’en donne aussi une justification au sein du texte : les êtres magiques s’attirent, surtout s’ils sont issus du même élément. Deux êtres du Feu qui se croisent ont le sentiment d’avoir une quelconque parenté, encore plus quand c’est réellement le cas.

Par ailleurs, beaucoup de personnages avaient eu connaissance de leur filiation en off, avant de rencontrer Salamandre, donc ils eurent le temps de s’y faire. Seules Sigrid (je mentionne qu’elle a du mal à l’accepter mais la révélation et le fait de la calmer sont dans une ellipse) et Célia (dont la situation ne se prêtait pas aux grandes discussions) l’apprennent au cours du tome.

Le rapport à leur vrai père est un peu différent. Pour la même raison, d’un être du Feu à un autre, ils vont plutôt être ouverts à lui. À part Léo, dont la colère était plus forte que cette attraction surnaturelle, alors qu’il a toujours espéré avoir un papa : il n’est pas émotionnellement prêt à pardonner et à le laisser entrer dans son cœur. Mais pour le reste du groupe, cela reste juste un inconnu, un nom avec une petite réputation, cependant ils ne l’ont jamais rencontré avant la toute-fin du livre (et cela dure seulement quelques minutes). Ils l’appellent « Père » par politesse, parce que c’est ce qu’il est, cela ne va guère au-delà. Sauf pour Salamandre : pendant ses deux mois à Cape Town, elle l’a retrouvé physiquement à plusieurs reprises (en général avec Léo) et deux à trois fois par semaine dans ses rêves. Ils ont eu le temps de faire connaissance, de s’apprivoiser. Elle l’apprécie mais ne lui accorde pas encore une confiance absolue et se sert beaucoup de lui pour assouvir sa soif de savoir, néanmoins le Gardien joue le jeu, puisque c’est une chose qu’ils ont en commun et leur meilleur moyen de tisser une relation. Elle est la seule qui, potentiellement, pourra éprouver un véritable amour filial pour lui un jour. Pour sa fratrie, il restera une figure bienveillante mais lointaine.