Les liens familiaux sont l’un des principaux ressorts scénaristiques des livres, films et séries. Plutôt positifs dans la littérature jeunesse (ex. : le frère et la sœur vont vivre des aventures ensemble en se chicanant un peu) et plutôt négatifs dans une œuvre destinée aux ados ou adultes. Là, les exemples sont multiples : être trahi par un membre de sa famille que l’on se retrouve à devoir tuer, ou avoir traversé une enfance horrible dans une famille dysfonctionnelle, ou plein d’autres choses tout aussi sinistres. Et, entre nous, je trouve dommage de réduire la plupart des fictions adultes à la violence physique ou psychologique, en pensant que cela les rend plus « matures ». C’est vrai, mais ce n’est pas le seul moyen.
Cela dit, c’est également un trope devenu d’une grande banalité : les personnages cabossés par la vie vont se reconstituer une famille avec leurs compagnons de route. C’est très visible en jeunesse, où l’on a tôt fait de chanter le « pouvoir de l’amitié » sur tous les tons, mais cela existe aussi en littérature adulte – c’est juste plus pudique et moins manichéen. La confrontation apparaît souvent entre la famille « de sang », présentée sous un mauvais angle (du genre : je découvre que mon père inconnu est en fait l’antagoniste), et la nouvelle famille « de cœur » qui aidera à la vaincre. Il y a derrière cela une notion d’héritage, afin de savoir si l’on se définit par ses propres choix ou par qui étaient nos ascendants.
C’est de cela que je veux parler au travers de cet article, car ce sujet est présent de façon plus ou moins évidente dans chacun de mes ouvrages. Sans qu’elle mérite qu’on en fasse un livre, j’ai une histoire intime un peu moins lisse que la moyenne, ce qui m’a influencé à mon insu, dès mes premiers écrits (du fait de questions rôdant dans mon inconscient lors de ma vie de tous les jours). Et je ne m’en suis aperçu que dix ans plus tard.
Dans Les Chroniques des Gardiens, nous avons treize personnages qui – hormis les jumeaux Kevin et David bien sûr – n’ont aucun lien de parenté. Ils viennent de divers endroits du globe, de multiples époques, choisis par une force supérieure sans que leur avis soit sollicité pour devenir des super-guerriers du surnaturel. En dépit de cela, ils forment un clan soudé, une « famille » qui peut les comprendre. Car ces personnages sont trop différents de l’humain de base pour en être acceptés. Le clan des Gardiens est la seule alternative à une éternité de solitude, rapprochés par les particularités qui les isolent des autres.
Le modèle réapparaît dans Les Chroniques des Sang-Mêlé. Enfants des Gardiens, ceux-là se surnomment tous « cousins » alors que, biologiquement parlant, c’est faux. Ils sont les légataires du système clanique de leurs parents. Mais le deuxième schéma, celui de l’héritage par le sang, intervient aussi : les Sang-Mêlé maîtrisent le même élément que leur parent Gardien, ou deux si leur parent mortel était aussi magicien. Et même quand certains s’en détournent pour d’autres formes de magie, ils restent « être de » leur élément dominant, ce qui altère leur physiologie : par exemple, certains pouvoirs les rendront malades et ils auront une résistance accrue à d’autres. Le plus bel exemple tient dans la capacité des enfants du Feu et d’Éden (fille des Glaces) à supporter ou non le froid et la chaleur, ou lorsque Violette se montre immunisée aux drogues et toxines.
Dans Les Sept Reliques, nous reprenons ce système double. Si les liens du cœur sont clairement mis en avant, avec une équipe composée d’inconnus sélectionnés par le Destin, l’héritage est présent en filigrane. Pour être « l’enfant-étoile » disposant de quelques aptitudes magiques balbutiantes, il fallait que Cordélia descende de deux lignées précises, qui se sont unies par les manigances des dieux. Amber est un être du Feu, avec tous les points positifs et négatifs que cela implique, en plus d’être porteuse de magie noire qui la blinde aux maléfices des démons mais la laisse vulnérable à la magie blanche. Et surtout, il y a Louane, écartelée par une double nature Feu/Glace. Si elle n’en tire aucun bénéfice ou handicap physique, sa personnalité en est directement affectée.
Pour conclure, parlons des Chroniques du Nouveau-Monde, mais arrêtez-vous là si vous n’avez pas encore lu le tome 2 ! Dans le premier volet, Salamandre rencontre des protagonistes qui deviennent temporairement ses amis avant que leurs chemins se quittent. « Famille » de substitution, composée par les liens du cœur, donc. Eh bien : non ! La quête de Salamandre nous explique qu’au contraire, ils étaient attirés par leur sang commun. Ils vont aussi découvrir, à petites doses, cette hérédité d’« être » d’un élément. Une thématique qui sera creusée davantage dans le tome 3, avec l’intégration d’autres attributs représentés par leurs « cousins ». Mais cette série-là est appelée à faire, avant tout, l’éloge de l’héritage inné et familial (tout comme les Gardiens ne vantaient que les familles de composition), qui chez moi n’est jamais montré comme une chose néfaste.