Alerte sur les « content warning »

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Encore un débat qui n’est pas là de s’arrêter ! L’usage des content warning (ou trigger warning ou CW/TW pour les intimes), les avertissements sur le contenu. L’idée : protéger le lecteur de mauvaises surprises. Pour prendre un exemple un peu extrême : s’il a subi un viol et que le livre en met un en scène, ce passage a de fortes chances de raviver son traumatisme. Ce serait dommage. Extrême, disais-je ? Pas tellement, puisqu’en fait, cette mode a été lancée précisément pour ça (avec les autres traumas, comme les accidents de voiture). Hélas, aujourd’hui, vous ouvrez un livre young adult ou new adult et tombez sans mal sur dix ou quinze CW, à propos de tout et (surtout) n’importe quoi. Car aujourd’hui, quoiqu’on fasse, cela dérive fatalement.

Je suis le premier à dire que le livre, c’est mieux que la vie. Qu’une histoire peut se terminer bien, qu’on peut s’abstenir dans une fiction de réalités trop crues. Sans être victime, je n’ai pas non plus envie de lire une scène de viol. Cependant, la réalité n’est pas le pays des Bisournous et, si la vie doit mettre des gens traumatisés en présence d’un évènement qui réveillera leurs traumatismes, elle n’aura pas la politesse de mettre un CW en amont. Donc, est-ce faire leur bien de les dorloter ainsi ? La question se pose. J’ai eu ma part d’angoisses refoulées ou de blocages et j’en suis venu à cette conclusion : soit on travaille pour les dépasser, soit on serre les dents et on continue à avancer. La vie ne laisse pas trop d’autres choix. Se complaire dans le malheur est un luxe du monde moderne, dont l’humanité devrait pourtant se passer. La solution la plus simple serait encore, comme je le fais, de n’inclure aucun meurtre/viol/torture/etc. dans les romans, d’écrire toujours pour un large public. Mais bon, ça dépend des goûts de chacun.

Hélas, avec les dérives (multiplication des CW à tort et à travers), un autre risque se profile : rendre le lectorat, déjà tatillon, de plus en plus capricieux. On commence avec « attention : viol » et, dans dix ans, on en sera à « attention : le personnage mange une tarte aux fraises ». Et le lecteur n’aimant pas les fraises boudera le livre qui, pour le reste, lui plairait peut-être. Maintenant que la fiction est facile d’accès et que les choix sont de plus en plus larges (surtout avec l’audiovisuel, plus que le livre), ne risque-t-on pas de créer le lecteur qui voudra un livre pensé exprès juste pour lui, avec tout ce qu’il aime et rien de ce qu’il n’aime pas ? Nos amies ChatGPT et autres IA risquent de rendre ce cauchemar possible, signant la fin du métier d’écrivain.

L’auteur doit aussi se poser la question : des gens, par précaution, risquent de ne pas acheter un livre s’ils savent déjà qu’il contiendra des passages difficiles. Il va donc se priver de clients, mais s’épargner des avis au moins mitigés, sinon clairement négatifs. Cependant, ces CW sont maintenant distribués à tort et à travers. Je prends l’exemple du tome 1 de Daevabad, que j’ai lu l’an dernier. Il contient un CW « viol » ; sachant que l’histoire suit une jeune femme, on se fait très vite une idée de ce qui peut arriver… Eh bien, raté ! En réalité, il s’agit d’une misérable phrase, vers la fin du roman, où un soldat raconte à un autre qu’une anonyme a été agressée en marge de manifestations. Pas très jojo, mais tout de même bien moins violent que la description de l’évènement à la première personne. Et puisque ça n’a aucun impact sur l’histoire, on peut se demander l’intérêt de ce détail. L’auteure aurait pu l’enlever, elle se serait ainsi épargné un CW (et ne pas effaroucher pour rien des lecteurs potentiels). Dans la même idée, j’ai vu un CW « violence sur mineurs » pour décrire quelques mots durs, mais aucune maltraitance physique. Certains éditeurs semblent excessivement prudents, notamment De Saxus qui multiplie les fausses alertes.

Il y a enfin un problème dans leur emplacement, qui me pousse à dire que la mode des CW est avant tout démagogique. Il faudrait qu’ils soient bien visibles, sur la quatrième de couverture. A la place, il est d’usage de les mettre à l’intérieur, en vis-à-vis ou au dos de la page de titre. Je ne sais pas vous, mais quand je regarde des livres en librairie, j’examine la première de couverture et la quatrième. Je ne l’ouvre pas à la recherche d’éventuels CW. Et pour un achat sur Internet, ce n’est même pas la peine ! Je découvre donc toujours les CW après mon achat. Heureusement, comme dit plus haut, ils sont le plus souvent exagérés. Mais cela pointe clairement que l’efficacité de la manœuvre laisse un peu à désirer…

Si je dois en utiliser un jour, cela sera juste pour éloigner un public trop jeune : j’écris pour les enfants et les adolescents, actuellement, cependant j’ai l’intention de passer sur des séries adultes, avec potentiellement de l’érotisme (qui n’est pas choquant en soi mais reste inadapté avant un certain âge), puisque je n’ai pas l’intention d’intégrer un contenu violent au moindre de mes romans.